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BROKEN DOWN - Interview Jeff Maurer
Entretien avec Jeff MAURER réalisé par mail le 11 mars 2015.
On entend trop souvent que la scène Metal tourne en rond, que l’on n’est pas surpris par les nouvelles sorties, et les chroniqueurs des différents webzines/magazines le savent bien, il est très rare de tomber sur un album qui nous divise et dont on ne sait trop quoi dire car on n’a pas réussi à savoir quel était la finalité de l’album (et oui parfois, nous ne sommes pas prêt à entendre certains albums). C’est exactement ce que j’ai ressenti à l’écoute de First Spit, premier album de BROKEN DOWN, encensé par certains, massacré par d’autres, il suffit de se balader sur la toile pour comprendre que cet album ne laisse personne indifférent. Alors avant de vous faire découvrir les propos de Jeff MAURER, tête pensante, et unique tête d’ailleurs, de ce groupe, il était important d’expliquer pourquoi Heavy Sound avait choisi de ne pas chroniquer cet album, en toute humilité. Tout d’abord, les commentaires parfois limite sur ce disque et surtout sur la personne de Jeff, ce n’est que de la musique, un art qui laisse chacun devant ses propres jugements mais qui ne doit pas amener des propos diffamatoires, certains ont la mémoire courte sur les leçons de civisme lancées en France à la mi-janvier. Ensuite, afin d’être tout à fait clair avec ceux qui liraient ces lignes, le passé de Jeff dans la musique est plus ou moins lié à mon activité musicale à moi, j’ai du respect pour ce que Jeff a pu faire, notamment au sein de SURTR même si sa nature entière et totalement passionnée a pu lui faire commettre quelques erreurs sur les deux albums parus. Mais voilà je le reconnais sans trembler, je n’ai pas compris où Jeff voulait en venir avec ce First Spit alors plutôt que d’écrire n’importe quoi sur ce que j’aurais pu attendre de lui ou sur ma vision personnelle de ce qu’il devrait faire, j’ai préféré lui donner la parole pour en savoir plus et ainsi m’armer et comprendre (attention, essayer de comprendre, ben oui je ne suis pas une flèche !) en vue d’un éventuel deuxième album. Las des interviews remplies de félicitations et de léchage de bottes, voici une interview moins conventionnelle mais où vous en apprendrez plus sur la nature de cet ovni, merci à Jeff d’avoir jouer le jeu.
Peux-tu nous dire comment est né le projet BROKEN DOWN ?
Jeff MAURER : A force de “jams maison” pour mon unique plaisir, des morceaux se sont construits et il a fallu y mettre un nom. L’utilisation de kits de batterie électronique tout prêt ou de samples bruts comme la plupart des artistes utilisant des logiciels modernes tels qu’Ableton ou des boîtes à rythmes, n’ayant jamais été une option, j’ai construit, samplé et bidouillé le moindre son des kits de batterie et de synthétiseurs, morceau par morceau. Cette création représentant 50% de la composition d’un titre de BROKEN DOWN, les termes “décomposer / recomposer” me sont venus à l’esprit après plusieurs hésitations avec les mots “peler” ou “décortiquer”. Le nom de BROKEN DOWN fut alors choisi. En jammant et bricolant uniquement par envie, le résultat s’est retrouvé être une fresque sonore qui mêle à la fois treize années d’Electro / Indus / Noise /... sous le pseudonyme JeFF, et tout autant d’expériences dans le Métal. C’est presque une approche dadaïste
Etait-il déjà clair dès le début que ce serait un projet personnel et que tu te chargerais de tout sur ce disque, ce n’est pas la première fois que tu opères de cette manière ?
La composition individuelle et de manière instinctive a imposé cette manière de faire. Cela permet notamment une liberté de timing, une liberté logistique, ... La possibilité de rencontrer quelqu’un qui aurait une vision convergente et une compréhension entière du projet n’est jamais exclue, même si j’en doute. Par contre des collaborations éphémères sur certains titres sont bien plus réalistes.
Quand as-tu composé ces titres qui apparaissent sur First Spit ?
Le procédé de composition qui revient le plus part d’un ou deux riffs de guitare, sur lesquels se greffent beats électroniques, synthétiseurs et noise divers, basse, puis voix. Quelques riffs de guitare de First Spit revenaient régulièrement dans mes jams depuis quelques mois et n’avaient jamais été exploités. Le titre “Daddy Doom” chatouillait mon envie de détournement depuis plusieurs années. Mise à part ça, tout le reste de l’album a été composé durant l’été 2014. Les sept titres ont été enregistrés dans la foulée, petit à petit sans deadline, sans forcer, uniquement lorsque l’envie m’en prenait. Le mixage prit fin en octobre.Est-ce que cela signifie que tu as réalisé le mixage toi-même ? Est-ce quelque chose que tu voulais faire ou bien était-ce par faute d’alternative ?
En effet le mixage de First Spit a été entièrement réalisé par mes soins. Pour tout ce qui touche au son (et notamment à l'égalisation) "de base", vu la dose d'instruments synthétiques, il va de soi que cela entre dans le process de composition. Par contre, le mix final n'est pas mon exercice favori. J'aime que les moindres détails soient entendus et cela rend difficile certains choix. Mais c'est aussi un dilemme de passer par un professionnel pour mixer un projet solo. Ce n'était donc pas une réelle volonté et c'est par défaut que je m'y suis attelé.
Par contre, pour le mastering, tu as confié cela à Yann de MonStudio à Nancy, quelqu’un qui avait déjà entendu tes travaux passé, t’a-t-il donné son avis sur cet album, a-t-il joué un rôle plus important qu’un simple mastering ?
Yann avait entièrement réalisé l'EP de mon premier "vrai" groupe il y a 10 ans. J'avais déjà appris beaucoup à l'époque. Récemment il avait entièrement enregistré, mixé, masterisé pour la version CD et la version vinyle de ma dernière formation en date. Connaissant ses qualités, sa réactivité et ses tarifs, cela semblait être un choix logique. Yann est un professionnel, il ne juge jamais le contenu ou le style de la musique d'un artiste. Il peut par contre donner des conseils lors de l'enregistrement ou du mixage, afin que certains points des morceaux ressortent mieux sur les bandes. Des conseils techniques. Lors de la réalisation de ce mastering, Yann a pointé du doigt certains aspects du mixage que j'avais immédiatement retouché. En effet, vu la dose d'électronique, certains synthés et kicks flirtaient trop dans les graves, ce qui aurait pu casser la dynamique du son final. Yann est toujours de bon conseil mais ne te force jamais à les appliquer. Un pro qui connait son boulot et les subtilités techniques des différents genres de musique.
Avais-tu une idée du style que tu voulais emprunter ou as-tu laissé aller ta créativité pour voir ce qui en résultait ?
Il n’y a aucun style défini et il m’est d’ailleurs impossible de mettre un nom sur la musique de BROKEN DOWN. La créativité a le champ libre sans barrière d’aucune sorte.
On va de suite évacuer le sujet des reprises surprenantes, pourquoi avoir enregistré ces reprises, qu’as-tu cherché à faire ou à démontrer à travers ces 2 titres ("Blue" d’EIFFEL65 et "Daddy Cool" de BONEY M.) ? Elles peuvent laisser l’impression que tu ne considères pas BROKEN DOWN comme un projet sérieux, non ?
Le second degré de ces titres n’est aucunement synonyme d’un manque de sérieux. C’est-à-dire que je ne me prends personnellement pas au sérieux. Jamais. Je suis en éternelle remise en question, ne campant jamais sur des “acquis” et ne trouvant pas de satisfaction particulière si je suis encensé. Par contre, dans l’ombre, sans jamais (il me semble en tout cas) mettre en avant cela comme gage de qualité, je suis toujours sérieux dans ce que je sors. C’en est presque maladif. Chaque morceau contient un bout de moi, un bout de vrai au moment où je le compose ou l’enregistre. Ces réinterprétations de tubes disco et Euro dance sont clairement des envies personnelles de m’amuser sans aucune limite, sans aucun carcan. C’est aussi un message à tous ceux qui renient des moments musicaux de leur vie pour pouvoir appartenir à un standard ou rentrer dans un moule. Aucun ado des années 90 ne peut dire qu’il n’a jamais écouté de dance ou de techno. Que ce soit Hadaway ou Scooter, ces noms résonnent même derrière les vestes à patchs de certains “true” Metalheads.
Sur cet EP, tu varies beaucoup ta voix comme tu évoques beaucoup de styles différents musicalement parlant, est-ce que BROKEN DOWN est appelé à se recentrer ou est-il né pour cet hétéroclisme stylistique ?
Je tiens à préciser que First Spit est considéré comme un album, puisqu’il dure plus de 20 minutes et contient tout de même 7 titres. Vocalement, comme musicalement, c’est instinctif et totalement libre : gutturaux Death, cris Black métalisant, chants clairs, voix éraillées, sing-along Hardcore Punk, voix parlée ou distordue et que sais-je encore auront toujours leur place sans pour autant être forcément indispensables. Si un futur titre m’inspire uniquement un chant clair (et même pourquoi pas pop !), cela sera ainsi.
Quel est l’avenir de BROKEN DOWN ? Quels sont tes futurs projets ? Penses-tu remonter un groupe à la structure plus traditionnelle ?
BROKEN DOWN est un projet vivant au quotidien. Si un riff ressort dans mes jams, si des idées de beats ou de sons noisy me viennent, je les note. Puis lorsque l’envie m’en prend, j’agrémente cela sous forme de morceau. Une fois qu’il y aura assez de morceaux, le processus d’enregistrement commencera. Un chroniqueur m’a qualifié de ”boulimique” dans le passé. Cela me convient parfaitement. Je mange de la compo tant que je peux, puis je vomis tout sur une galette. D’ailleurs en y repensant maintenant, ça rejoint l’idée du nom de ce premier album qui est lui aussi apparu naturellement : First Spit (premier crachat). Donc impossible de te cacher qu’un second crachat est déjà en cours de (dé)compositon avancée. Actuellement je ne ressens pas l’envie de monter quelque chose de traditionnel, de m’imposer des sessions régulières, etc. J’ai dévoué entièrement ces quatre dernières années à mon label et à mon précédent groupe pour réaliser de magnifiques choses. Maintenant je suis un peu fatigué. Notamment par le rythme infernal qui s’imposait à moi par ambition : plan de com’, plan promo, deadline pour les sorties, gestion de la boutique en ligne, gestion des distributeurs, recherche de dates, négociations en tout genre... Mon ambition et celle des projets menés m’ont poussé à bosser comme dix. Le résultat en valait la peine, même si on en veut toujours plus. Mais aujourd’hui je suis las de la méthode de travail que je m’étais moi-même imposée jusqu’à ne plus pouvoir la voir. C’est à la limite de la schizophrénie, je sais. J’en parle d’ailleurs dans le titre “A Pill Hard To Swallow”. Avec le recul, il est clair que BROKEN DOWN a été influencé par cela dans le côté sans code, sans contrainte, sans schéma ambitieux, sans attente. Uniquement de la musique pour le plaisir.
Les titres fourmillent de riffs différents qui auraient pu nourrir dans beaucoup d’autres groupes bien plus de titres, cela peut laisser penser que tu étais pressé de redonner des nouvelles de toi. As-tu senti une certaine impatience à reproposer quelque chose musicalement ?
Cette question me fait sourire. Je ne sais pas qui peut bien attendre des nouvelles de moi. Je ne crois pas être une icône, ce n’est pas vraiment ça. Tout d’abord au niveau du nombre de riffs différents, cela me rappelle quand je chantais dans un groupe de Death Metal progressif et qu’un guitariste à l’essai balançait “avec le nombre de riffs dans ce titre, on peut faire un album d’AC/DC”. Je comprends tout à fait, mais personnellement je m’ennuie vite avec un morceau à trois riffs. Cela a toujours été le cas et il est trop tard pour que cela change il me semble ! Là où tu tapes juste c’est sur le côté impatient. C’est indéniable, je l’ai toujours été. C’est un trait de caractère indissociable et entièrement assumé. Avec le temps et les expériences je sais que je ne dois pas lutter contre cette nature. BROKEN DOWN ne gagnerait pas à être joué en boucle, répété et perfectionné avant d’être enregistré. C’est de l’instinctif, du brut. Ce qui s’est amélioré dans mes projets au fil du temps, c’est le temps de mixage… un énorme effort pour moi ! Mon plaisir est présent dans la composition, l’enregistrement et le bricolage des sons plutôt que dans le perfectionnement ou la technique. Un titre de BROKEN DOWN est équivalent à un état d’âme à un moment donné. Il n’a plus le même sens s’il sort plus d’un an après.
Les chroniques des différents webzines et autres commentaires sont très différents les uns des autres, une polarité assez brutale parfois. Y accordes-tu une importance ? Prends-tu du recul sur ces chroniques négatives et positives pour en tirer quelques enseignements pour de futurs projets ?
Mon rapport aux chroniques dans le cadre de BROKEN DOWN est quelque chose de nouveau. Auparavant, dans ma logique de promotions des sorties du label comme on en parlait juste avant, les chroniques étaient synonymes de visibilité et d’atouts de vente, notamment lorsqu’elles étaient reprises via les distributeurs pour pousser les albums auprès des points de vente. Elles étaient nécessaires dans un but mercantile. Mis à part ça, et quels que soient mes projets passés, je n’ai jamais pris de chroniques comme conseils pour modifier ma manière de faire de la musique. Là aussi, cela rejoint ce que j’expliquais sur le fait que je ne me prenne pas au sérieux. Quand j’avais seize ans mon égo d’ado en pâtissait d’une mauvaise chronique car la musique produite me tenait à cœur et contenait une part de moi. Mais ça fait longtemps que l’avis de la presse m’indiffère. Lorsque l’idée d’un album de BROKEN DOWN est née, il était clairement question (surtout en contenant un texte comme “A Pill Hard To Swallow”) qu’il n’y aurait pas de plans de promotion mis à part quelques teasers et vidéos qui donnent une identité visuelle. Et puis, lorsqu’il fut temps d’écrire la biographie de ce projet, j’ai eu tellement de mal à décrire la musique de BROKEN DOWN de manière compréhensible, surtout en essayant de la rapprocher d’un style (car la majorité des gens ont besoin de références pour s’intéresser à quelque chose) que je me suis dit “il faut que j’envoie une cinquantaine de CD à la presse, ils vont détester essayer de décrire First Spit”. On est loin du plan média effectué par Altsphere Production pour les précédentes sorties. Je n’ai pas été surpris par les chroniques ultra négatives qui montrent l’incompréhension totale et la réussite involontaire dans le fait de ne pas imposer de limite ou barrière de style à ce projet. J’ai ri quand certaines parlaient d’un “album arnaque” à cause du beau digipack (vu le côté instinctif et non calculée de BROKEN DOWN) ou encore quand on parlait de mes 10 ans de carrière (il serait surprenant que ces chroniqueurs aient pu écouter plus de 5% de tout ce que j’ai enregistré, ça a été déduit d’une fiche sur Internet. Et puis “carrière”, quel mot mal choisi). Lorsque tu as pris contact avec moi, tu me parlais de “Jeff bashing”. C’est donc la vision que toi, chroniqueur, avais ressenti suite à la lecture de chroniques. Ca m’a aussi prouvé l’incompréhension face à ce projet. La volonté était de ne pas mettre en avant BROKEN DOWN sous mon nom, sans pour autant en faire un projet anonyme. Le seul endroit où apparaît ce rapprochement est à l’intérieur du Mint pack où il y a un clin d’oeil au “Nine Inch Nails is Trent Reznor” du Pretty Hate Machine. D’un autre côté, j’ai été agréablement surpris par les chroniques positives ou les chroniqueurs avouant n’être pas assez ouvert d’esprit ou avouant simplement préférer les choses plus traditionnelles. Je ne pensais vraiment pas que certaines personnes décriraient BROKEN DOWN si justement ; m’aidant d’ailleurs à trouver des termes pour mieux décrire ma propre musique ! Si, si ! Je suis donc totalement satisfait des retours de la presse quels qu’ils soient.Tu es également le responsable du label Altsphere Productions, quelles sont les prochaines sorties du label ?
Rien n’est prévu à part me faire plaisir. Une seule personne est derrière Altsphere et BROKEN DOWN, ce qui signifie que les démarches sont en phase. Si j’ai un énorme coup de cœur, comme ce fut le cas pour Roachstomper, le second album de CARCHARODON (qui d’ailleurs, en y repensant, mélangent aux aussi plusieurs styles et affichent un certain second degré dans l’attitude et les textes) Altsphere sortira quelque chose. (ndlr. allez jeter une oreille sur cet album absolument excellent !). Dans le cas contraire, le label se concentrera sur mes projets ou ceux d’amis à qui je souhaiterai filer un coup de main. Mais il est d’ores et déjà clair que je ne repartirai pas dans des schémas ambitieux qui prendront trop de temps, d’énergie et d’argent.
As-tu un dernier mot ? Si tu devais choisir ton épitaphe aujourd’hui, laquelle serait-elle ?
Je voudrais te remercier pour cette interview qui a pour but d’essayer de mieux cerner et comprendre BROKEN DOWN. Je félicite aussi le lecteur qui est arrivé jusque là ! Mon pessimisme me fait dire qu’il y en aura peu. Autant que ceux qui écoutent plus de 30 secondes de chaque titre de First Spit sur Bandcamp ! hehe. Donc lecteur, si ces mots t’ont intrigué, jette une oreille !
Mon épitaphe serait : “J’ai évité de me faire enfermer dans des carcans toute ma vie, mais me voilà finalement dans une boîte”.
Propos recueillis par Aymerick Painless
Bandcamp : http://broken-down.bandcamp.com/
Site : www.broken-down.net
Facebook : https://www.facebook.com/brokendownofficial
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